… Ou la bravoure à haut degré.
Jamais on ne se serait imaginé cela possible. Et pourtant… Il faut dire que l’initiative était risquée, mais çà a tenu, et bien au-delà de ce qu’on aurait pu penser : plus de trois semaines avant que les défenses immunitaires ne jouent définitivement leur rôle.
Juillet et Août sont encore des mois de concours colombophiles et au lendemain de l’un d’eux, coup de téléphone d’un ami et voisin colombophile : « J’ai un pigeon qui vient de rentrer blessé, peux-tu faire quelque chose ? » Je lui demande de me l’amener. Quant ils arrivent tous les deux, c’est un pigeon éviscéré que je pose sur la table, totalement éventré et la trachée sectionnée. Mais ce magnifique mâle meunier respire encore.
Mon épouse (infirmière) et moi-même tentons de convaincre notre ami de renoncer. Rien n’y fait, il faut à tout prix tenter de sauver ce magnifique Imbrecht. Derrière cette volonté, il y a l’idée de le mettre éventuellement à la reproduction. Pari difficile. Il fait chaud et je n’ai pas forcément la compétence pour exécuter les gestes qui conviennent.
Un instant, on se met à imaginer ce qui a bien pu se passer : une attaque d’un rapace ? Peu probable : il n’y a aucune trace de blessure sur le dos ni sur la partie supérieure du cou. Et si tel avait été le cas, je pense que cette bête ne serait jamais rentrée chez elle. Chacun sait que l’attaque du rapace en pleine vitesse se situe au niveau du cou qu’il fracture avant d’enserrer la proie pour la précipiter à terre. Là, rien de tout cela. Par contre, sous l’animal, la plaie est franche, comme une coupure en forme de crosse qui remonte sur tout le côté de l’animal en le traversant sous le cou. La musculature n’est pas atteinte. Il n’y a pas de fracture, ni des ailes, ni du bréchet. On pense à un câble électrique ou de téléphone, pris sur l’avant et à pleine vitesse avec un arrachement superficiel de la peau est du plumage qui s’y insère. On ne relève aucune trace de plomb de chasse, ni de brûlure.
Au-delà de ce constat délicat, c’est la bravoure de l’animal qui surprend. Il a d’abord fallu qu’il ait le courage et la volonté de renter chez lui dans cet état. Et il l’a fait ! Sur place, pas de geste de défense, il se laisse examiner et ne réagit pas au nettoyage de la plaie. Sans doute la douleur est telle qu’elle occulte toute le reste et surtout cette envie somme toute assez naturelle qui voudrait qu’il tente de s’échapper pour… rejoindre son propre colombier pourtant distant de quelque six kilomètres naturelle Rien n’y fait, il demeure d’une docilité surprenante.
Devant l’étendue de la blessure, j’appelle mon ami vétérinaire. A son arrivée, il examine l’oiseau. Le pronostic est très réservé, mais après tout, pourquoi ne pas tenter ? On rassemble le nécessaire : Bétadine pour désinfecter, Catgut avec ses aiguilles pour assurer les sutures, de l’Hexomédine pour nettoyer la plaie. C’est mi journée et on décide d’opérer dehors : le colombier n’est pas assez éclairé pour bien y voir.
Une fois la plaie bien nettoyée, l’opéré donne quelques signes de faiblesse. Son regard est quelque peu livide. On s’attend à un trépas en cours d’intervention. Il respire toujours, par une trachée dont la section est franche et totale. La blessure nous laisse un peu perplexe. Comment anastomoser les deux bords de cette trachée qui assure normalement la respiration. La section est franche mais il semble impossible de procéder à un rapprochement des deux bords. On pense alors à une opération supplétive : insérer un morceau de cathéter et parvenir à l’enfiler à l’intérieur de la trachée, des deux côtés de cette dernière. Aussitôt dit aussitôt fait. Et il faut se presser car le regard de l’animal semble fuyant.
A peine en place, ce cathéter récupéré sur un pré-montage de perfusion permet d’assurer une respiration plus fluide et plus continue. L’effet en est quasi immédiat. On aurait dit qu’il se réveillait. Authentique réveil effectivement : il faudrait cette fois refermer les plaies et s’assurer que tout soit bien nettoyé de façon à ne pas prendre davantage de risque : nous somme dehors et il fait chaud.
La surprise viendra après que toutes les sutures aient été effectuées. Placé dans une petite cage d’observation, nous pensions tous que le pigeon allait se poser sur le fond et même s’y coucher sur le côté le moins atteint, dans une sorte de posture conjuratoire à la douleur postopératoire. Rien de tout cela : il reste debout, l’œil on ne peut plus vif et, lorsque nous lui présentons à boire, il y va directement ! Mieux encore, il aura aussi le geste adapté pour s’approprier quelques graines que nous lui donnions.
Mon ami et voisin colombophile devait m’apprendre le décès de son préféré, quelques quatre semaines et deux jours plus tard. Sans doute un rejet par l’organisme du greffon de cathéter que nous avions posé. Au-delà de l’intervention elle-même se pose bien évidemment la question de la nécessité d’une telle persévérance dans la tentation d’une opération de survie vouée fort probablement à l’échec avant même son début. Je dois dire que nous y avions songé, envisageant même de surseoir à toute poursuite dans notre tentative opératoire avec l’idée de mettre fin à la vie de ce pauvre pigeon. L’espoir ne renaissait qu’à l’instant où nous l’avons surpris à boire et à s’alimenter. Cela aura duré très exactement trente jours, trente jours d’un espoir fou !
« Le Recousu »
Pas tout à fait cependant car quelques semaines plus tard, je renouvelais cette fois seul cette même intervention sur un de mes sujets rentré dans des conditions similaires mais sans trachée sectionnée. Ce dernier a survécu à ses blessures. Sans greffe, j’ai pu le tenir au colombier quelque six mois sous surveillance rapprochée. « Le Recousu » (c’est le nom que je lui donnais) recourait la saison suivante et faisait prix sur quatre des cinq sorties programmées pour lui : autre exemple peut-être d’une folie reconstructive à la quelle d’aucun aurait renoncé, mais que la bravoure du sujet a su dominer. « Le Recousu » vit toujours, à la plus grande satisfaction de sa femelle choisie par lui.